C. Berthoud : Le Cycle d’orientation genevois

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Titel
Le Cycle d’orientation genevois. Une école secondaire pour démocratiser l’accès à la culture 1927–1977


Autor(en)
Berthoud, Chantal
Erschienen
Gollion 2016: Infolio
von
Charles Heimberg

Tiré d’une thèse de doctorat, l’ouvrage de Chantal Berthoud évoque les trente-cinq ans de genèse et les quinze premières années de l’histoire de l’école moyenne genevoise organisée dès 1962 dans un Cycle d’orientation de l’enseignement secondaire (ci-après CO). Son étude part d’un premier projet d’école moyenne à Genève, dont elle analyse l’échec, et se conclut sur un moment marqué à la fois par le départ du premier directeur général du CO, Robert Hari, et l’adoption par le Grand Conseil genevois de nouvelles finalités assignées à l’Instruction publique qui remplaçaient un texte bien différent de 1940. Dès ses premières pages, et avec raison, ce sont bien les questions de l’orientation et de la sélection, parfois confondues, ainsi que du passage de l’école primaire à l’enseignement secondaire, qui sont au coeur de ce livre très dense. L’auteure souligne notamment la forte, et efficace, résistance des enseignants du secondaire à la perspective d’une remise en cause de leurs statuts distincts: ceux du Collège, la voie gymnasiale classique, ne voulaient pas se retrouver avec le même statut que leurs collègues des autres écoles du secondaire et ceux de l’enseignement secondaire avaient les mêmes craintes vis-à-vis de l’enseignement primaire. Dès lors, ce projet de 1927 a également marqué le point de départ d’une lutte entre enseignants secondaires et instituteurs.

L’une des thèses importantes de cette étude consiste à montrer que la refonte de la loi sur l’instruction publique de 1940 a en réalité posé les jalons d’un développement à venir de l’enseignement secondaire et d’une école moyenne pour tous, et qu’il serait réducteur de n’y voir que la dimension conservatrice des finalités et objectifs qu’elle a introduits en même temps. D’autres projets d’école moyenne voient ensuite le jour, suscitant des tensions entre les mondes du secondaire et du primaire: le premier est accusé d’ignorer complètement les apports de la psychologie du développement et le second de prendre trop d’importance en amont dans l’orientation, ou la sélection, des élèves. Et en toile de fond, c’est aussi la question de la formation du corps enseignant qui se pose, les sciences de l’éducation ne parvenant pas, à ce moment-là, à s’affirmer comme un champ de référence pour l’enseignement secondaire.

Après la guerre et au cours des années cinquante, le canton de Genève est sensible à l’air du temps, exprimé notamment, à l’époque, dans le cadre de la Conférence internationale de l’instruction publique, qui mène à la fois à étendre l’accès des jeunes à la culture et à élargir le recrutement des élites en fonction des besoins nouveaux de la société, en agissant aussi en faveur des élèves méritants de condition modeste. Il est également question de repenser les savoirs pour qu’ils ne soient plus seulement encyclopédiques et préparent mieux les élèves à leur vie future dans la société. Ces attentes nouvelles, associées à l’idée d’un enseignement du second degré désormais conçu en continuité avec le précédent, sont encore complétées par l’idée de réunir toutes les catégories d’élèves dans un même bâtiment. Enfin, la notion d’orientation prend d’autant plus d’importance qu’elle doit alors permettre de diminuer le nombre des élèves qui entrent dans le monde professionnel sans la moindre formation. Sur la base d’un rapport publié en 1959, le projet de CO implique la suppression de la 7e année primaire pour instaurer un parcours de trois années dont la première se déroulerait dans des classes hétérogènes. Mais ce transfert de l’orientation-sélection dans le secondaire est rendu impossible par les pressions concomitantes et efficaces des enseignants du secondaire, des parents d’élèves et des milieux économiques. Il n’y a donc pas d’hétérogénéité dans les classes de 7e année du CO qui s’ouvrent en 1962.

Dans la seconde partie de l’ouvrage, enrichie par de nombreux témoignages qu’elle a recueillis, Chantal Berthoud interroge l’écart entre le projet forgé au cours de ces longues années et ce qu’en font ses responsables dès qu’il est mis sur pied. Elle souligne à ce propos le contraste entre la dynamique d’innovation qui va prévaloir et le caractère désuet des finalités de l’instruction publique telles qu’elles avaient été définies en 1940. Dès lors, la reformulation de ces objectifs par les parlementaires genevois en 1977 légitime après coup une évolution déjà largement engagée, avec un fameux alinéa stipulant qu’il faut «tendre à corriger les inégalités de chance scolaire des élèves dès les premiers degrés de l’école» et des éléments concernant une préparation à la vie en société.

La nouvelle école moyenne genevoise s’installe progressivement au cours des années soixante, la cohabitation avec les écoles traditionnelles suscitant de fortes tensions avec le Collège (école gymnasiale) qui reproche au CO de lui envoyer des élèves trop faibles. Du côté du CO et de son premier directeur général, alors même que les objectifs qui leur ont été assignés demeurent imprécis, l’idée d’une orientation continue qui retarde autant que possible les «sélections irréversibles» prédomine. L’heure est ainsi à la démocratisation des études, mais aussi au développement de l’esprit de recherche et de l’esprit critique.

Les nouveaux établissements du CO intègrent tous des innovations comme la présence de psychologues scolaires, des formes de participation menant à de nouvelles formes de dialogue avec les élèves et, surtout, la mixité des classes qui s’impose de fait, sans avoir été prévue dans les projets initiaux, pour des raisons pragmatiques liées notamment à la construction de nouveaux bâtiments. De jeunes enseignants suppléants y sont accueillis, mais aussi, dans un premier temps, des instituteurs issus des anciennes classes de 7e année primaire. Les contenus des cours sont également repensés. Malgré une crispation constante autour de l’enseignement du latin, qui avait contribué à empêcher l’introduction de classes hétérogènes en 7e année, une nouvelle section prégymnasiale est introduite qui privilégie les sciences. Des cours innovants sont également proposés aux élèves comme l’information générale (pour la culture générale) ou la critique de l’information (pour l’esprit critique). La question des choix ultérieurs de formation des élèves est aussi présente avec l’information professionnelle. Enfin, un secteur de recherche est intégré au coeur de l’école moyenne pour examiner les questions liées à l’orientation et contribuer ainsi à la légitimation de cette nouvelle école moyenne, généralisée à partir de 1969.

Le CO a développé d’emblée une politique d’information et de dialogue avec les parents d’élèves, créant le journal mensuel CO Parents dès 1967, ainsi qu’une École des parents. Il a lancé des enquêtes auprès de ces parents afin de mieux connaître leur vécu et leurs attentes à son égard. Parallèlement, des contestations politiques émergent à partir d’un mécontentement des milieux économiques contestant l’idée d’un accès de tous les élèves à une culture générale et accusant le CO de vouloir envoyer trop d’élèves dans des études longues. Elles concernent notamment le refus ouvertement exprimé par le directeur général Robert Hari et le conseiller d’État André Chavanne de laisser se développer une apologie des armes et des actions militaires auprès des élèves, conformément aux recommandations du Bureau International de l’Éducation, mais en contradiction avec les objectifs de l’école établis en 1940 et toujours en vigueur. Une enquête officielle est par ailleurs menée sur une prétendue politisation du CO, enquête qui aboutit au constat de son inexistence mis à part quelques cas isolés au niveau des enseignants.

En réalité, les enjeux liés à l’orientation-sélection des élèves demeurent très sensibles et portent à la fois sur le passage de l’enseignement primaire au CO, sur les relations avec les écoles de l’enseignement post-obligatoire et surtout sur les modalités pédagogiques de cette orientation continue censée caractériser le CO. Les débats et bilans de la première décennie ont ainsi débouché sur le principe d’une Réforme II qui prévoit une première phase de tronc commun, puis une orientation par des niveaux différenciés en allemand et mathématiques, ainsi qu’un choix de certaines disciplines en option. Mais Chantal Berthoud annonce d’emblée l’échec à venir de la Réforme II: circonscrite à trois établissements et à leurs projets particuliers, elle n’a pu relever d’une vision d’ensemble de l’évolution du CO.

Fruit d’une enquête considérable, ce bel ouvrage est d’une grande richesse et sa lecture fort intéressante. Sa densité aurait certes mérité un index des personnes et des thématiques, même s’il comprend déjà de très utiles annexes. Il reconstruit l’histoire d’une structure-clé de l’enseignement public genevois. Sa première partie consacrée à la longue genèse du CO dès les années vingt est pertinente et nécessaire pour inscrire dans la durée l’importance majeure des enjeux de finalités qui sont posés à l’institution scolaire. La seconde partie qui évoque la création effective et les premiers temps du CO se présente très différemment, compte tenu de la parole de témoins qui accompagne constamment le récit de ces années pionnières. Mais il ne s’agit là que d’initiateurs ou de cadres, et l’auteure a bien raison d’appeler de ses voeux, dans sa conclusion, une autre histoire orale qui puisse rendre compte de l’expérience et des pratiques enseignantes dans les classes; et de l’évolution ultérieure, jusqu’à un présent qui semble chargé de transformations profondes, de la manière dont le CO se situe par rapport aux objectifs légaux de l’école adoptés en 1977 et toujours en vigueur.

Zitierweise:
Charles Heimberg: Chantal Berthoud: Le Cycle d’orientation genevois. Une école secondaire pour démocratiser l’accès à la culture 1927–1977, Gollion: Infolio, 2016. Zuerst erschienen in: Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 69 Nr. 1, 2019, S. 198-200.

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Zuerst veröffentlicht in

Schweizerische Zeitschrift für Geschichte Vol. 69 Nr. 1, 2019, S. 198-200.

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